2014/2023 : quand les gains de la formation explosent
La Lettre Hebdomadaire n°446 du CIES Football Observatory propose le Top 100 des clubs dont les académies ont généré les recettes de transferts les plus importantes de la décennie écoulée (2014/2023). 1633 joueurs entrent dans cette étude menée à l’échelle mondiale, avec pour critère indispensable d’avoir passé au moins trois saisons au sein du club entre leur 15e et 21e anniversaire.
Au-delà d’un classement largement dominé par le SL Benfica, dont la vente de joueurs formés au club a généré 516 millions € depuis 2014, ce minutieux travail du CIES Football Observatory apporte de précieux et nombreux enseignements. Il permet en premier lieu de mettre en lumière le travail des scouts qui détectent les jeunes talents à travers le monde, mais également celui des formateurs, qui les développent de l’école de foot jusqu’à leur arrivée dans la sphère professionnelle.
À travers eux, c’est aussi l’investissement des clubs dans la formation des jeunes joueurs qui est doublement valorisé. Si celui-ci conserve son intérêt sportif originel, son intérêt économique s’est plus que renforcé sur cette décennie2014/2023. Quand auparavant les clubs investissaient dans la formation avec une volonté de maîtrise des dépenses d’achats de joueurs et de salaires, voire de leur réduction avec la volonté de ne pas aller chercher ailleurs des talents qu’ils pouvaient eux-mêmes produire, former et exporter de jeunes joueurs offre aujourd’hui d’importantes perspectives de recettes. Il suffit d’additionner les gains des 100 clubs de cette étude, soit 13,8 milliards €, pour en percevoir l’exceptionnelle dimension.
21 clubs du Top 100 sont anglais !
S’il n’est pas seulement appliqué à la formation, le modèle économique dit de « trading »s’est imposé à un nombre important de clubs à travers le monde. Pour beaucoup il s’agit même de la principale manne financière, une aubaine dans un football où les recette liées aux droits TV et aux activités commerciales sont parfois incertaines. Majoritaires dans ce classement, les clubs anglais n’ont pas ce problème. Des droits TV records, des partenariats solides, qui leur permettent même de tourner le dos à l’apport financier des paris sportifs (à partir de la saison 2026-2027 les clubs de Premier League ne pourront plus afficher sur le maillot des sponsors étant des opérateurs de paris sportifs, ndlr), et des gains de merchandising et de billetterie optimisés permettent aux clubs anglais de ne pas dépendre du trading de joueurs, notamment de ceux issus de la formation.
Ainsi, le fait que 21 clubs de ce top 100 soient anglais (en ajoutant lesGallois de Swansea qui évoluent dans les compétitions anglaises, ndlr) peut apparaître comme un paradoxe, mais cette tendance résulte de deux phénomènes conjoints. La dernière décennie a permis aux clubs anglais de récolter les fruits d’investissements plus anciens en faveur de la formation des jeunes. Des règlementations plus strictes concernant les jeunes talents étrangers, les contraintes du brexit et la prise de conscience du fort potentiel de joueurs locaux ont aussi permis à de jeunes anglais d’émerger en Premier League, alors qu’ils étaient auparavant noyés par l’apport de joueurs étrangers, qu’ils soient jeunes ou plus expérimentés.
Formation et inflation
Cette tendance explique pourquoi 271 des 1633 joueurs de cette étude, soit16,8%, sont issus de la formation britannique. Et le fait que les 21 clubs anglais concernés par cette étude aient généré 21,2% des ventes de l’ensemble du top 100 (2,9 milliards €) s’explique aussi par l’importante tendance inflationniste du marché des transferts. Comme l’avait mis en exergue le CIESFootball Observatory en février 2023 avec son Rapport mensuel n°82, cette inflation n’est pas exclusive à l’Angleterre. De 2014 à 2023, celle-ci est de 116% à l’échelle mondiale. Cependant elle y a été encore plus importante outre-Manche, avec une croissance annuelle de 12,6% contre 8% pour l’ensemble du marché durant cette période.
Cela s’explique par la spectaculaire augmentation des droits tv de la Premier League, avec un important ruissèlement vers les clubs des divisions inférieures.Une augmentation rendue possible par trois décennies de développement d’un produit « Premier League » qui n’a cessé de gagner en attractivité bien au-delà des frontières anglaises et a dans le même temps attiré d’importants investisseurs anglais comme étrangers. Et ce qui vaut pour les transferts d’un point de vue global vaut aussi pour les transferts générés par la formation.
La domination européenne
En divisant la période 2014/2023 en deux, avec une première tranche allant de 2014 à 2018 et une deuxième allant de 2019 à 2023, la Lettre Hebdomadaire n°446 du CIES Football Observatory nous permet d’appréhender concrètement le phénomène. Sur les 13,8 milliards € générés par les 100 académies de l’étude depuis 2014, 62,4% l’ont été durant les cinq dernières années, soit 8,6 milliards € contre 5,2 milliards € lors des cinq années précédentes. Les recettes de transferts ont donc été multipliées par 1,6 sur l’ensemble des 100 clubs. Une progression importante qui l’a été encore plus pour les club sanglais de cette étude. Ces derniers ont multiplié la rentabilité de leurs académies par 3, passant de 726 millions € de gains entre 2014 et 2018, à 2,15 milliards € depuis 2019 !
Cette outrageuse domination financière du football anglais s’étend aussi au football européen. Les 100 clubs de l’étude représentent 21 pays, dont 16 sont des pays européens qui représentent plus de 90% des recettes totales pour un total de 79/100 clubs. Sur ce plan, le Big 5, regroupant les clubs anglais, allemands, espagnols, français et italiens, domine également avec 59/100 clubs et une part de marché flirtant avec les 60%. Derrière l’ogre anglais, la France et son système de formation quadragénaire arrivent en deuxième position avec 11 clubs représentés et 1,689 milliard € de recettes de transferts, devant l’Espagne (11clubs, 1,619 milliard €) et l’Italie (9 clubs, 1,06 milliard €). En retrait par rapport à ses voisins, l’Allemagne (7 clubs, 783 millions €) arrive derrière leBrésil (9 clubs, 1,3 milliards €), tandis que l’Argentine (8 clubs, 783millions €) obtient un bilan équivalent.
Benfica et l'Ajax mieux que le Big 5
Les deux mastodontes sud-américains, qui sont traditionnellement de grands exportateurs de joueurs, sont les seuls pays non européens à concurrencer le « Vieux Continent » dans cette étude. Mais ce sont surtout le Portugal (4 clubs,1,142 milliard €), avec Benfica et le Sporting CP comme locomotives, ainsi que les Pays-Bas (4 clubs, 865 millions €), portés par l’impressionnante académie de l’Ajax Amsterdam, qui impressionnent en s’invitant au bal du Big 5. Malgré un vivier de talents quantitativement inférieur, ces deux pays se démarquent qualitativement avec des filières de formation et d’exportation de joueurs qui sont pour beaucoup d’observateurs avisés des modèles du genre. Et si la formation française performe aussi dans ce classement, on remarque que la croissance globale des recettes des 11 clubs français est largement inférieure à celle des 8 clubs portugais et néerlandais.
Avec une multiplication des gains par 1,2 sur la période 2019-2023, contre 1,45 pour le Portugal et 2,18 pour les Pays-Bas, la formation française progresse moins vite. Cela peut s’expliquer par le fait que ses deux leaders que sont l’OL et l’AS Monaco ont stagné ou régressé ces cinq dernières années. Respectivement 3e et 6e du Top 100 depuis 2014, les deux clubs ont perdu du terrain depuis 2019. En tête du top 100 sur la période 2014-2018 avec 261 millions € de recettes sur les transferts de joueurs formés sur le Rocher (en grande partie grâce au transfert de Kylian Mbappé au PSG en 2017, ndlr), l’AS Monaco n’a généré que 64 millions € depuis 2019 (soit 20% de son total sur la décennie) et ne se classe qu’en 54e position sur la période 2019/2023. Parmi les trois seuls clubs de l’étude ayant généré autant de recettes sur les deux périodes (185 millions €), l’OL est passé de la 3e à la 9e place d’une période à l’autre.
Le scouting au coeur du défi français
Pour les autres clubs français, la progression a été le plus souvent spectaculaire. 82% des recettes du PSG et du Stade de Reims ont été générées sur la période 2019/2023, 76% pour l’ASSE, 72% pour les Girondins, 64% pour le Stade de Reims et le TFC, 60% pour le FC Nantes. À l’image de l’OL, Montpellier a stagné (51%) et à l’image de Monaco le RC Lens a régressé (34%). Si le vivier français a encore de beaux jours devant lui en terme d’attractivité et donc de perspectives financières pour nos clubs, les clubs représentant la « Ligue des Talents » et sa petite sœur de L2 ont de vrais défis devant eux pour quela filière de formation française de haut niveau continue de performer dans un contexte de plus en plus concurrentiel.
La structuration et la valorisation du scouting des jeunes talents fait partie des pistes d’amélioration à explorer. Formation, statut et moyens représentent un tryptique indispensable pour que notre football progresse dans ce domaine. La formation d’abord, car le partage des connaissances apporte la compétence qui est la clé de voute de toute profession. Chez FRFP, nous sommes convaincus que de la compétence viendra le statut. Celui du scout français n’est pas encore à la hauteur de l’importance que son travail revêt dans notre football et plus particulièrement dans notre modèle de formation.
À la FFF de se positionner sur le sujet avec un très bel exemple à sa disposition, celui de la FA anglaise qui offre ce statut aux scouts, en proposant notamment une formation et un diplôme fédéral, le Talent ID. Quant aux moyens accordés au scouting, le modèle anglais aussi est particulièrement instructif. Ce n’est pas par hasard si la Premier League est devenue une exceptionnelle « talent factory ». En amont des académies, les cellules de recrutement ont fait l’objet d’investissements massifs dont les clubs récoltent les fruits aujourd’hui. Pour un scout en France, on en compte souvent dix en Angleterre, où les structures de recrutement sont au cœur de la stratégie de formation. Investir dans la formation c’est donc aussi investir dans l’identification et le suivi des talents.
Consulter la Lettre Hebdomadaire n°446 du CIES Football Observatory.