Jérémie Bela : "Je vois le football différemment aujourd'hui"

Formé à Lens puis passé par Dijon, Albacete et Birmingham, Jérémie Bela a effectué son retour en France cette saison sous les couleurs de Clermont Foot. Le natif de Melun, qui a fêté ses 30 ans le 8 avril dernier, a aussi profité des derniers mois pour effectuer la formation recruteur FRFP. Grand passionné de football, intéressé par le scouting depuis l'adolescence, il s'est confié sur son rapport à ce métier, ses expériences de joueur et son apprentissage au sein de notre école.

Te souviens-tu de la toute première fois où tu as croisé la route d’un recruteur ?

Oui je m’en souviens bien. Je devais avoir dix ans et je jouais à Evry. Il était venu voir un joueur de l’autre équipe, mais pendant ce match-là j’ai réussi à me mettre en valeur et il m’a remarqué.

Te rappelles-tu pour quel club il travaillait ?

Si ma mémoire est bonne c’était pour le Stade Rennais. On m’avait proposé d’effectuer un stage là-bas et j’y suis allé plusieurs fois par la suite. Puis Lens s’était manifesté et le PSG également. J’ai eu affaire à plusieurs recruteurs durant cette période et j’étais déjà intrigué par ce métier. J’étais un gamin assez ouvert, j’aimais échanger avec eux, je leur posais beaucoup de questions, je voulais tout comprendre, d’autant plus que j’étais le premier concerné.

« Birmingham est entré en contact avec moi et j’ai appris qu’ils étaient venus me voir jouer 22 fois avant de me rencontrer ! »

Durant la suite de ton parcours on imagine que tu as croisé le chemin d’autres recruteurs, notamment lors de ton passage de Lens à Dijon en 2014 ?

Quand j’ai signé à Dijon, je n’ai pas eu de contact avec un recruteur, mais directement avec le président et le coach. J’avais vingt ans, j’étais encore jeune, mais j’avais déjà plus d’expérience que cinq ans auparavant. J’avais plusieurs options à l’époque. J’avais eu des propositions de clubs de Ligue 1, mais j’ai senti que le projet qui m’était présenté à Dijon était le plus adapté pour moi à ce moment de ma carrière. J’avais besoin de passer un cap, j’aimais le jeu pratiqué par l’équipe et je connaissais plusieurs joueurs dans le groupe ce qui facilitait mon intégration. En plus le club avait le projet de remonter en Ligue 1, ce qui était très excitant.

À Dijon tu disputes 82 matchs (12 buts) en deux saisons et demi, tu découvres la Ligue 1 en 2016 après avoir participé à l’accession la saison précédente, pourtant en 2017 tu choisis de rejoindre Albacete en Liga 2. Qu’est-ce qui a motivé ce choix ?

À ce moment-là j’ai 23 ans et c’est la première fois que je fais un choix qui ne concerne pas uniquement le footballeur, mais aussi moi en tant qu’homme. Je me cherchais un peu et je voulais me tester. Je n’ai pas peur de l‘aventure et je n’aime pas avoir de regrets. Je voulais voir jusqu’où je pouvais aller. Même en deuxième division, je voulais cette expérience à l’étranger, je voulais sortir de ma zone de confort. Découvrir le football espagnol, mais aussi la culture du pays, cela a été l’une des plus belles expériences de ma vie d’homme et de footballeur. J’ai découvert une autre mentalité, une autre manière de voir et de vivre le football. Il y avait beaucoup de joueurs sud-américains et africains, c’était très enrichissant. Cette expérience a été décisive dans mon parcours. Elle m’a permis de mûrir et de grandir.

Jérémie Bela a été formé au RC Lens et y a débuter sa carrière pro en 2012.

Après deux saisons en Espagne, c’est vers l’Angleterre et Birmingham, que tu as mis le cap…

En Espagne, ma deuxième saison s’est très bien passée. On avait joué les play-offs sans parvenir à accéder à la Liga, mais c’était une grosse saison. C’est là que Birmingham est entré en contact avec moi et j’ai appris qu’ils étaient venus me voir jouer 22 fois avant de me rencontrer ! J’ai senti un désir prononcé de leur part et l’Angleterre c’est quand même un rêve pour un joueur de football.

On imagine que là-aussi cela a été un sacré changement. Tu confirmes ?

Complètement. C’est encore une autre manière de voir le football, avec une intensité bien différente, surtout aux entraînements. En Angleterre j’ai vu des joueurs manger des burgers quasiment tous les jours et cavaler sans s’arrêter sur le terrain. J’avais du  mal à comprendre ça au début. En France, je n’avais jamais vu un gâteau sur la table une veille de match. Là-bas cela ne dérange personne, le joueur est beaucoup plus responsabilisé. Et pourtant, surtout en Premiership, tu joues tout le temps, il n’y a pas de trêve hivernale, tu fais minimum 50 matchs dans une saison !

« L’Angleterre c’est le temple du scouting ! Quand j’arrivais dans les bureaux pour discuter ou pour récupérer mes vidéos individuelles, j’observais, j’écoutais… »

L’intensité des entraînements c’est une chose qui revient souvent quand un joueur français évoque son expérience en Angleterre…

Oui, c’est une mentalité très différente. Il y a moins de travail physique sans ballon, mais tout se fait dans l’intensité, personne ne râle et tout le monde se donne à fond. C’est ce qui leur permet je pense d’enchaîner un nombre de match impressionnant chaque saison. D’ailleurs, c’est durant mon passage en Angleterre que j’ai été le moins blessé durant ma carrière, alors que c’est là-bas qu’on joue le plus de matchs. Quand j’étais à Birmingham, j’avais l’habitude de discuter avec les recruteurs et ils me disaient qu’à chaque recrutement d’un joueur étranger ils multipliaient les observations et analyses de ce joueur, afin de déterminer le travail physique le plus adapté pour qu’il s’intègre au mieux au football anglais. Là-bas, ils ne laissent rien au hasard.

C’est en Angleterre que tu as commencé t’intéresser un peu plus au métier de recruteur ?

L’Angleterre c’est le temple du scouting ! Quand j’arrivais dans les bureaux pour discuter ou pour récupérer mes vidéos individuelles, j’observais, j’écoutais… Comme je l’ai dit, rien n’était laissé au hasard. Ils sont parfois deux sur le même ordi pour pouvoir visionner un joueur, c’est poussé au max !  Alors oui, j’ai commencé à avoir un autre regard sur ce métier, mais en fait je m’y intéressais déjà sans vraiment le savoir. Quand je regarde un match, je suis souvent dans l’analyse. Mon petit frère est au centre de formation de l’OL et joue actuellement avec la réserve. En regardant un de ses matchs chez les jeunes j’ai remarqué Malo Gusto. Ce petit, ça se voyait qu’il avait les qualités pour passer pro. C’est ce que j’ai dit à mon frère et cela s’est vérifié quelques mois plus tard. En début de saison j’ai vu jouer le petit Kumbedi lors d’un match amical entre la réserve de l’OL et celle de Clermont. Je n’ai pas été étonné du tout de le voir arriver en cours de saison avec les pros.

Après avoir découvert la Ligue 1 avec Dijon, Jérémie Bela fait le choix de rejoindre Albacete en Liga 2 en 2017.

À Birmingham tu as croisé la route d’un certain Jude Bellingham, tu as eu ce même sentiment en le découvrant ?

Je me souviens avoir appelé mon petit frère pour lui parler de Jude la première fois que je l’ai vu, car ils ont le même âge. Quand on a vu débarquer ce gamin de 16 ans avec autant de maturité physique et de confiance en lui on a tous pris une claque. C’était un mix entre la mentalité anglaise, la technique espagnole et le talent français. Il nous a franchement impressionné. Moi je le charriais, je lui demandais ce que ses parents lui avaient mis dans le biberon quand il était petit. Quand tu es scout et que tu découvres un joueur pareil, ça doit être quelque chose !

Cette vision du football, avec un goût prononcé pour l’identification des jeunes talents, c’est ce qui t’a poussé à effectuer la formation recruteur FRFP ?
J’ai entendu parler de la formation par des amis. Ce sont eux qui m’ont encouragé à la faire car ils sentaient bien que cela me correspondait. Quand on est joueur professionnel, on s’entraîne tous les jours, on a la compétition qui est aussi très prenante, mais on a aussi beaucoup de temps libre. Comme j’ai du mal à rester sans rien faire, je me suis dit que c’était une bonne idée. Je viens d’avoir trente ans et même si je ne me projette pas totalement encore sur l’après carrière, suivre une formation c’est aussi commencer à préparer la suite. Et avec cette formation de recruteur j’ai joint l’utile à l’agréable.

« Quand je suivais les cours, que j’effectuais les cas pratiques, j’étais vraiment dans la peau d’un scout. Peut-être que je n’aurais pas autant kiffé cela avec une autre formation. Cette approche pédagogique est excellente »

As-tu été surpris par le contenu de la formation ?

Quand on est joueur, on est dans le système, on voit beaucoup de choses, on rencontre et on côtoie des recruteurs, mais on ne voit pas tout le travail que cela représente. En m’interessant un peu au sujet, notamment en Angleterre, j’avais commencé à mieux comprendre comment cela fonctionnait. Mais avec la formation je suis passé à un tout autre stade. Le rôle du scout est beaucoup plus complexe qu’on ne le perçoit de l’extérieur. Déjà il y a les méthodes d’observation, d’analyse et de reporting, les données vidéos et statistiques qu’il faut savoir maîtriser, le relationnel, le réseau… Un scout doit aussi savoir démarcher, bien vendre le projet de son club pour convaincre un joueur, sa famille, ses conseils… Il y a beaucoup d’aspects à prendre en compte, beaucoup de compétences à mettre en oeuvre. Pour ma part j’ai trouvé cela encore plus intéressant que ce que je pensais au départ. J’ai pris un plaisir fou à faire cette formation. Au-delà de la clarté des cours et de la qualité des formateurs, j’ai trouvé ça réellement passionnant ! J’ai adoré regarder des matchs de l’Euro U17, analyser les performances des joueurs que je devais suivre. J’ai tellement kiffé cela que depuis que j’ai fini la formation ça me manque !

Cet apprentissage du métier de recruteur t’a-t-il également apporté quelque chose en tant que joueur ?

Beaucoup de choses ! Franchement je vois le football différemment aujourd’hui. Même quand je joue, j’ai la réflexion du recruteur. Cela me met une bonne pression, je réfléchis plus à mon jeu, à ce que j’aurais pu mieux faire dans telle ou telle situation. En plus de l’âge et de l’expérience, je me mets dans la peau de l’expert et ça m’aide beaucoup. Et puis maintenant que j’ai ces acquis, cette vision, je me projette un peu plus en tant que scout pour la suite de mon parcours.

En 2019, Jérémie Bela rejoint Birmingham en Premiership et découvre le football anglais.

Il te reste encore quelques belles années de joueur devant toi, mais pour l’après carrière c’est une voie qui t’intéresse vraiment ?

Je ne suis pas encore sûr à 100% de ce que je veux faire après ma carrière de joueur. J’ai deux ou trois idées dans des domaines qui m’intéressent, le scouting en est une bien entendu. C’est un métier qui me plaît et qui me parle, d’autant plus depuis que j’ai effectué la formation. Et je souligne le fait que c’est aussi son contenu que j’ai beaucoup aimé. Quand je suivais les cours, que j’effectuais les cas pratiques, j’étais vraiment dans la peau d’un scout. Peut-être que je n’aurais pas autant kiffé cela avec une autre formation. Cette approche pédagogique est excellente.

Conseillerais-tu à un joueur de suivre cette formation ?

Je le fais déjà ! Pendant que j’étais en formation j’en parlais tout le temps à mes amis et à mes coéquipiers. Certains m’ont même demandé si j’avais des parts chez FRFP tant je leur en fais la pub ! Mais c’est une évidence pour moi et je pense que beaucoup joueurs devraient s’y intéresser. Personnellement cela a touché tous les aspects de mon jeu. Mon champ de vision s’est agrandi et mon QI football avec. Je leur dis que j’ai fait l’éclaireur pour eux qu’ils peuvent y aller les yeux fermés. En plus de s’améliorer en tant que joueurs, ils vont aussi commencer à préparer l’après football en explorant un domaine clé de la stratégie d’un club. Aujourd’hui, celui qui maîtrise la science du recrutement peut aller très loin dans un rôle de dirigeant de club.

« J’aime me projeter et comme je l’ai dit c’est pour ça que j’ai beaucoup aimé la formation FRFP, car à chaque étape je me mettais dans la peau d’un scout. »
— Citer la source

Pablo Longoria et Damien Comolli sont en effet passés par le scouting avant de devenir présidents de l’OM pour l’un et du TFC pour l’autre. C’est également le cas de Luis Campos ou encore Paul Mitchell, respectivement directeurs sportifs du PSG et de l’AS Monaco, pour ne citer qu’eux. C’est le genre de parcours que tu aimerais avoir ?

Quand on voit les personnes que tu as citées, c’est quand même inspirant. Comme tu le dis dans ta question, le recrutement peut offrir de très belles perspectives professionnelles. Après c’est un plan de carrière et aussi un plan de vie, mais si je m’engage dans cette voie cela sera par passion et avec un souci d’évolution. C’est ma façon de voir les choses, j’aime me projeter et comme je l’ai dit c’est pour ça que j’ai beaucoup aimé la formation FRFP, car à chaque étape je me mettais dans la peau d’un scout.

Achevons cet entretien pour évoquer afin de saison de Clermont en Ligue 1… Le maintien  en Ligue 1 est désormais acquis, quel est votre objectif pour la fin de championnat ?

L’objectif est tout simplement de conserver notre place dans la première moitié du classement et de finir la saison comme nous l’avons commencée, en compétiteurs qui ne lâchent rien. Nous avons déjoué les pronostics du début de saison, qui nous voyaient en difficulté dans la lutte pour le maintien avec la perspective des quatre relégations. Nous sommes un club en développement, mais nous ne sommes pas là par erreur bien au contraire. Nous avons un collectif de qualité, qui travaille bien, qui a gagné en confiance au fil des matchs, mais sans jamais avoir de prétention mal placée. Nous pouvons être fier de qui a été accompli, pour nos familles, nos dirigeants, les employés du club et bien sûr les supporters.

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